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L'exclusion des athlètes russes des JO de Rio et les menaces en suspens sur le reste de la délégation ramènent le sport mondial dans un climat de guerre froide inédit depuis l'explosion du bloc de l'Est.
Symbole de la dérive diplomatique de cette crise sportive, les doléances adressées en début de semaine par le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov à son homologue américain John Kerry envers les "demandes provocatrices et antirusses" de l'Agence antidopage américaine (USADA).
Cette dernière, en effet, avait appelé à une exclusion totale de la Russie avant même la publication du rapport McLaren qui allait attester lundi d'un "dopage d'Etat sécurisé" dans le pays, donnant aux Russes des arguments pour dénoncer un complot à leur encontre.
La mise au jour d'un système de dopage sous tutelle d'un ministère des sports attentif à protéger ses meilleurs espoirs de médailles est, au delà de ces joutes verbales, une résurgence soudaine d'un passé que beaucoup pensaient disparu avec le Rideau de fer.
Le rapport McLaren indique clairement que la falsification systématique des contrôles antidopage effectués sur les Russes est à dater de 2011, année suivant la débâcle russe aux jeux d'hiver de Vancouver (15 médailles contre 22 en 2006 et un 11e rang mondial).
- 'Poutine = Lance Armstrong ' -
Les méthodes, les chaînes de commande et de décision, l'assistance logistique des services secrets détaillées dans le rapport commandité par l'Agence mondiale antidopage (AMA) évoquent l'époque sombre des années 50 à 90, où les "jeux Olympiques permettaient aux représentants des différentes nations de s'affronter sans s'entretuer", selon les mots des sociologues Norbert Elias et Eric Dunning. Et où le dopage, en vigueur dans toutes les délégations, mais étatisé dans le bloc de l'Est, aidait à gonfler un tableau des médailles brandi comme un trophée guerrier.
Et ce jusqu'au paroxysme de la guerre froide, atteint en 1980, lors du boycott des Jeux de Moscou par les Américains et une cinquantaine de leurs alliés, puis de Los Angeles en 1984 par les Soviétiques et une quinzaine de pays de l'Est.
En dépit de l'instauration de relations nouvelles entre les ex-blocs ennemis, l'instrumentalisation du sport demeure une constante. En Russie et ailleurs.
"Il existe plusieurs piliers de la fierté nationale russe. Le premier, c'est l'armée. Très important aussi, les stars nationales du sport. Le sport est un soft power pour la Russie", indiquait jeudi sur France 24 Martin Kragh, responsable du programme Russie et Eurasie à l'Institut suédois des affaires internationales. Il en va de même en Chine, à Cuba, dans tous les pays au pouvoir centralisé, mais également aux Etats-Unis et en Europe.
"La Russie de Poutine a poussé le principe à son maximum, comme l'a fait individuellement Lance Armstrong ", estime Christophe Brissoneau, sociologue spécialiste du dopage. Mais que dire de la cécité des Etats-Unis, "coupables" selon lui "d'incitation au dopage par non intervention dans les ligues professionnelles" comme le football américain, le baseball, mais également le basket, sport olympique.
- Les JO-2024 comme enjeu -
Aujourd'hui, les moindres détails ont un sens politique: l'exil canadien de la Russe Ioulia Stepanova, lanceuse d'alerte à l'origine des premières révélations sur la chaîne allemande ARD, l'asile offert par les Etats-Unis au Dr Grigori Rodchenkov, ancien patron du laboratoire de Moscou auteur d'un entretien dévastateur au New York Times, la personnalité de Travis Tygart, très conservateur patron de l'Usada (l'agence antidopage américaine), ou de Dick Pound, l'ancien patron canadien de l'Agence mondiale antidopage (AMA), auteur du premier rapport sur la Russie, tracent une géopolitique très bipolaire.
Brissoneau s'interroge ainsi sur l'écho médiatique, certes mérité, de l'enquête d'ARD sur la Russie, au regard du désintérêt total qu'a suscité en décembre son pendant sur la chaîne Al Jazeera, "The Dark Side, The secret world of sports doping", dénonciation d'un dopage systémique version US.
Entre deux blocs à nouveau sur les dents, le CIO fait le dos rond. Liée aux Etats-Unis sur les plans économique et financier (la moitié de ses sponsors sont américains), l'institution olympique est traditionnellement proche de la Russie dans un sens plus politique.
L'influence du très russophile ex-président Juan Antonio Samaranch se fait encore sentir au CIO, même six ans après sa mort.
Encore plus prudente, la France ne s'est encore pas exprimée officiellement sur le conflit en cours entre la Russie et les instances sportives internationales. Et ne le fera probablement pas. Il en va de sa candidature olympique pour 2024. Froisser les membres russes du CIO serait une grave erreur, surtout quand son principal rival pour l'organisation des Jeux s'appelle... Los Angeles.