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© AFP/DAMIEN MEYER
Patrick Jullien (C), l'un des préparateurs de voiliers de course les plus chevronnés, enseigne à Lorient, le 17 octobre 2016
"J'ai fait cinq Vendée Globe, mais jamais le tour du monde. Qui suis-je ?" Réponse : Patrick Jullien, l'un des préparateurs de voiliers de course les plus chevronnés, un métier méconnu qui, après vingt ans d'apprentissage "sur le tas", fait désormais l'objet d'une formation à Lorient.
Sur les pontons, on les appelle les "boat-niggers". Ces "esclaves du bateau" travaillent dans l'ombre des skippers. Matelotage, accastillage, électronique, informatique, plongée... Sans ces véritables couteaux suisses, la course au large ne se ferait tout simplement pas.
Il y a encore quelques mois, quand il se déclarait à Pôle Emploi, Patrick Jullien, dit "Juju", se disait "technicien nautique". Bien qu'ils soient plusieurs centaines en France et que le secteur progresse de 10% par an, son activité n'était pas référencée.
Mais il y a un an et demi, à Auray (Morbihan), l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) réalise que la course au large se professionnalise et qu'un besoin est né. Elle décide donc de lancer une formation inédite de "préparateur (de) voilier de course".
Le 3 octobre, les douze premiers stagiaires ont investi la base sous-marine de Lorient pour trois mois de formation. Au coeur du K3, un bunker de la Seconde Guerre mondiale mangé par le lierre et tagué d'un crabe géant, les apprentis apprennent, ou réapprennent ce jour-là, à réaliser le noeud de sifflet de bosco.
- Un milieu fermé -
Âgés de 22 à 36 ans, Bretons pour la plupart, ils ont été sélectionnés cet été parmi une centaine de candidats. Plusieurs ont traversé l'Atlantique, certains ont déjà participé à des compétitions, d'autres dorment sur leur voilier.
Jonathan, 36 ans, est "coach plaisance" dans un centre nautique à Port-La-Forêt (Finistère). "Depuis 13 ans, dit-il, j'ai appris la maintenance des bateaux de manière empirique, mais aujourd'hui, il ne suffit plus de savoir seulement faire de la strat' (stratification, NDLR)."
Outre les compétences techniques, les stagiaires veulent aussi se constituer un "portefeuille de contacts". Quentin, 28 ans, ingénieur en conception, a bien tenté d'entrer dans les "teams" du Vendée Globe 2016, mais il n'était pas du sérail...
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Patrick Jullien (C), l'un des préparateurs de voiliers de course les plus chevronnés, enseigne à Lorient, le 17 octobre 2016
Il espère que les rencontres professionnelles prévues par l'Afpa lui permettront de mettre un pied dans ce milieu fermé, concentré dans la "Sailing Valley", entre Port-la-Forêt et La Trinité-sur-Mer (Morbihan).
Si les stagiaires admirent les skippers, ce qui les fait rêver, ce sont bien "les machines", admet Jonathan, impressionné par "ces bateaux qui commencent à voler" et flirtent désormais avec "l'aéronautique".
Leur idole à eux, ce serait plutôt "Juju", l'un des formateurs. "Ce gars", confie l'un des stagiaires, "c'est un peu un mythe. Quand on se balade avec lui sur le ponton, il connaît tout le monde et tous les bateaux."
- 'Concevoir une machine' -
Moniteur de voile, il se rêvait architecte naval. Patrick Jullien, 49 ans, est finalement devenu préparateur de voilier un peu par hasard. Il se souvient de son premier Vendée Globe, en 1996 : "J'étais sur le ponton depuis cinq minutes que j'avais déjà un tournevis dans les mains".
Naviguer, il aime ça, il a même fait un peu de course en équipage. Mais "ce qui me branchait le plus, c'était de concevoir une machine qui soit en adéquation avec le skipper", explique-t-il. Et un bateau peut toujours évoluer : comme le monocoque de Yann Eliès, un Imoca de 2007, sans cesse retravaillé, qui se lancera le 6 novembre à l'assaut de son troisième Vendée Globe.
"Dans les années 2000, on s'est retrouvé avec des bateaux de plus en plus compliqués", avec non plus deux mais dix techniciens derrière chaque voilier, raconte "Juju". "Aucun sport mécanique n'a connu une telle progression de performance en trente ans", avec une vitesse plus que doublée.
Mais, prévient-il, "si maintenant les bateaux volent et font rêver tout le monde, c'est la vitrine". Car le métier est "exigeant" : "quand on fait les Vendée Globe, on met durant trois mois sa vie en stand-by : je n'allais jamais au cinéma sans mon téléphone ou mon ordinateur".