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Le "népotisme" d'un patriarche entouré de deux de ses fils et de sa garde rapprochée: le clan du Sénégalais Lamine Diack, président pendant 15 ans de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF), est au centre des accusations dans le vaste dossier qui mêle corruption et dopage.
A 82 ans, Diack, qui a quitté la présidence de l'IAAF en août, fait l'objet de deux mises en examen par la justice française, pour corruption, corruption passive et blanchiment. Il est soupçonné d'avoir fermé les yeux sur des cas de dopage, notamment d'athlètes russes, contre de l'argent.
C'est maintenant l'un de ses fils, Papa Massata, qui est dans le collimateur des juges français. Il a été placé par Interpol sur sa liste des personnes les plus recherchées le 17 décembre après un mandat d'arrêt émis par la France, ont annoncé jeudi l'organisation et la justice française.
Papa Massata Diack "a été mis en cause par plusieurs personnes" dans le cadre de l'enquête française, a expliqué Eliane Houlette, patronne du parquet national financier français.
Elle s'est exprimée à Munich, dans la foulée de la présentation du second volet du rapport de la commission d'enquête de l'Agence mondiale antidopage (AMA) sur cette vaste affaire de corruption et de dopage.
"Convoqué par les enquêteurs, (Papa Massata Diack) a refusé de se présenter. Il n'a pu être entendu à ce jour et se trouverait actuellement au Sénégal. Il a fait savoir à la presse qu'il ne se rendrait pas aux convocations de la justice française. Les juges d'instruction ont délivré un mandat d'arrêt à son encontre le 16 décembre", a déclaré Mme Houlette.
- 'Premier cercle' -
Le rapport de la commission de l'AMA, qui décrit un système de corruption structurelle au sommet de l'IAAF sous le règne de Lamine Diack (1999-2015), est accablant pour le cacique sénégalais et ses proches: Lamine Diack "est responsable d'avoir organisé et rendu possible (...) la corruption au sein de l'IAAF".
"Lorsque le président de l'IAAF, son conseiller personnel (Habib Cissé, lui aussi mis en examen, ndlr), deux de ses fils (Papa Massata et Khalil Diack, ndlr), le directeur du département médical et antidopage (Gabriel Dollé, également mis en examen, ndlr) et le secrétaire général adjoint (Nick Davies, qui s'est mis en retrait fin décembre après avoir été accusé par des médias d'avoir tenté de retarder la révélation de cas de dopage russes, ndlr) sont tous impliqués dans des agissements douteux ou criminels, c'est la réputation de l'IAAF toute entière qui est mise en doute", est-il écrit.
Les auteurs du rapport reprochent à Lamine Diack d'avoir engagé ses fils comme "consultant marketing" et "consultant indépendant", en dehors de l'organigramme de l'IAAF, tout comme Cissé en tant qu'avocat.
En s'appuyant sur des "liens familiaux ou personnels", "Lamine Diack a créé un premier cercle (...) qui a fonctionné comme une structure illégitime de gouvernance de l'IAAF", accusent les auteurs du document. Ils jugent que les dirigeants de l'IAAF "ne pouvaient pas ne pas être au courant du niveau de népotisme au sein" de l'organisation.
Papa Massata Diack, l'un des 15 enfants de Lamine, a été radié à vie le 7 janvier par la commission d'éthique de l'IAAF. Il est soupçonné d'avoir conspiré avec des responsables de l'athlétisme russe pour "extorquer ce qu'on peut qualifier de pots-de-vin au moyen d'actes de chantage" à des athlètes dopés. En clair, d'avoir reçu de l'argent en contrepartie de la couverture de faits de dopage, principalement en Russie.
La commission d'éthique de l'IAAF a pointé du doigt le rôle d'une société de Singapour, Black Tidings, dirigée par un ami de Papa Massata Diack.
Ce dernier avait dû quitter ses fonctions à l'IAAF en décembre 2014, accusé par des médias britanniques d'avoir demandé quelque cinq millions de dollars (4 millions d'euros) pour appuyer la candidature de Doha (Qatar) aux Mondiaux d'athlétisme 2017, finalement attribués à Londres.
- 'Poids de l'âge' -
Selon les déclarations de Mme Houlette jeudi, Lamine Diack, Cissé et Dollé ont reconnu en garde à vue que 23 athlètes russes contrôlés positifs à partir de 2011 n'avaient pas été sanctionnés selon les procédures habituelles. La raison: "Ne pas créer un scandale à l'approche des JO-2012 au moment où étaient négociés un contrat avec un important sponsor ainsi que les droits télévisuels pour les Mondiaux de 2013", selon Mme Houlette.
L'enquête "s'attache à vérifier si ces agissement ont pu donner lieu à contrepartie financière occulte et à vérifier l'utilisation éventuelle de ces fonds".
Car ce scandale complexe dépasse de très loin le cadre du sport: il a eu des répercussions politiques au Sénégal, selon des extraits des déclarations de Lamine Diack en garde à vue publiés mi-décembre par Le Monde.
L'octogénaire y mentionnait une contribution de 1,5 million d'euros apportée par la Russie. Selon ses déclarations, cette somme aurait été "distribuée à des associations et des sphères d'influence" pour contribuer à éviter une réélection à un troisième mandat d'Abdoulaye Wade à la présidentielle de 2012.
Papa Massata Diack avait mis les déclarations de son père sur le compte du "poids de l'âge", niant tout financement occulte.
Les accusations qui s'empilent font résonner aujourd'hui bien ironiquement la phrase-fétiche de Lamine Diack, qu'il se plaisait à marteler du temps de sa splendeur: "L'athlétisme est une grande famille".