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Lorsque la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) a repêché Darya Klishina en vue des JO de Rio, la sauteuse en longueur aurait pu incarner la seule athlète porteuse des rêves russes de médailles: elle a, au contraire, été qualifiée de "traîtresse", par certains.
"Mon agent, ma famille m'ont tout de suite dit : +Ne va pas sur internet, ne lis rien, ne regarde pas', explique la double championne d'Europe en salle (2011, 2013) à l'AFP. Fais seulement ce que tu dois faire, entraîne-toi, prépare-toi pour les jeux Olympiques."
Après la décision de l'IAAF de rejeter toutes les demandes de repêchages déposées par les athlètes russes, à l'exception de la sienne, Darya Klishina a, en effet, dû affronter des torrents de haine dans son pays.
- 'Collaboratrice des nazis' -
Son tort ? D'avoir pèle-mêle rompu la solidarité avec les athlètes privés de Rio, d'avoir remercié l'IAAF, bourreau de l'athlétisme russe, ou d'avoir été prête à concourir sous un drapeau autre que le drapeau russe.
Concrètement, elle a été repêchée parce qu'elle était la seule, aux yeux de l'IAAF, à échapper au système mis en place par les autorités russes pour ses athlètes, un système gangréné par le dopage organisé selon l'Agence mondiale antidopage (AMA).
De quelle manière ? En s'installant en 2013 en Floride pour suivre son entraîneur à la prestigieuse académie IMG.
Ainsi, le message Facebook par lequel elle a remercié l'IAAF, évoquant une "décision experte", a rapidement atteint près d'un millier de commentaires. Des messages de soutien, mais aussi des insultes, des appels à ce que la sauteuse rende son passeport, l'invitant à ne jamais revenir en Russie ou l'accusant de trahison.
"Des gens ordinaires ont vu quelque chose de criminel là-dedans (la décision de l'IAAF) et ont commencé à m'accuser d'être une ennemie du peuple", poursuit-elle.
Les abus de langage ne venaient pas seulement d'internautes anonymes. Sur Twitter, un journaliste du tabloïd Komsomolskaïa Pravda a comparé la sportive de 25 ans à une collaboratrice des nazis. Le porte-parole du puissant Comité d'enquête russe en a fait l'égale de Yulia Stepanova ou de l'ex-directeur du laboratoire antidopage moscovite Grigory Rodchenkov, qui dénoncent aujourd'hui le système de dopage après en avoir bénéficié.
- 'Tous ensemble' -
La sauteuse est la seule athlète russe de haut niveau à vivre et à s'entraîner toute l'année à l'étranger, et les critères de l'IAAF stipulaient que les athlètes désirant être repêchés ne devaient pas "avoir été affectés par l'échec de la Fédération russe à mettre en place un système efficace de lutte antidopage".
Les grandes stars de l'athlétisme national, à commencer par la double championne olympique de saut à la perche Yelena Isinbayeva, devront elles en passer par le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne, qui étudiera le recours de 68 athlètes russes, dont Klishina également, avant le 21 juillet.
"J'attends la décision du TAS avec toute l'équipe. J'espère que nous pourrons y aller tous ensemble sous le drapeau russe", assure-t-elle.
Non retenue pour les Jeux de Londres-2012, elle n'avait fini que 7e des Mondiaux-2013.
"J'ai compris à cette époque qu'il fallait que je change quelque chose dans ma vie sportive", se souvient-elle. Elle suit alors son entraîneur américain en Floride et, après un essai de deux mois, décide de rester à l'académie IMG, qui a notamment révélé les soeurs Williams en tennis.
Pour autant, Klishina ne pense pas que son départ aux Etats-Unis ait participé à alimenter les critiques contre sa "trahison" supposée.
"Il s'avère seulement que mon entraîneur est américain. Si la situation en 2013 avait été différente, si mon entraîneur avait eu une autre nationalité et vivait dans un autre pays, j'aurais été où il serait aujourd'hui."
Mercredi, le président du CIO Thomas Bach a annoncé qu'elle serait "une membre à part entière de l'équipe olympique russe" pour les JO, l'autorisant à concourir sous drapeau russe alors que l'IAAF voulait la voir participer sous couleur neutre.
La sauteuse, qui assure être soutenue par les autres athlètes russes, a aussi reçu le soutien du ministre des Sports Vitali Moutko, qui a dénoncé des attaques "excessives" contre la jeune femme.
"C'est une citoyenne russe. Et si elle termine sur le podium, nous serons fiers d'elle", a renchéri Dmitri Svichtchev, qui préside le comité pour le sport à la Douma d'Etat.
Darya Klishina regarde déjà plus loin: "J'ai été déprimée une journée. J'ai pris une journée de repos dimanche, et lundi, je suis revenue avec l'esprit clair".