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© AFP/CRISTINA QUICLER
Le milieu de terrain du Betis Dani Ceballos pose dans le stade Benito Villamarin, le 8 février 2017
Madrid? Barcelone? Pas du tout: le derby le plus passionnel d'Espagne est sévillan! Séville-Betis se joue "au bureau, au restaurant" ou sur l'eau du Guadalquivir, explique Monchi, directeur sportif du Séville FC. Et le match concrétise "un derby vécu toute l'année" dans une ville coupée en deux.
Séville a deux visages: il y a ceux qui apprécient la Semaine Sainte, c'est-à-dire les processions de Pâques, et ceux qui préfèrent la Feria d'avril, fête printanière sur un air de flamenco, entre robes à volants et tenues traditionnelles.
Et puis il y a ceux qui aiment le vert et blanc du Real Betis Balompié et ceux qui préfèrent le rouge et blanc du Séville FC.
"Un jour, un dirigeant de Séville a pris par hasard un stylo vert et l'a reposé aussitôt sur la table en disant: +Je ne peux pas le prendre, parce qu'il est vert+. C'est à ce point", raconte à l'AFP le Français Julien Escudé, ancien défenseur du Séville FC (2006-2012).
"Sevillistas" contre "Beticos". Deux équipes centenaires. Deux stades distants de quatre kilomètres. Deux clubs beaucoup trop proches et beaucoup trop semblables, qui s'affrontent samedi en Liga au stade Benito-Villamarin.
- 'La ville est coupée en deux' -
"Un chroniqueur radio a dit une fois que ce match n'admettait pas la neutralité", note Manolo Rodriguez, historien officiel du Betis. "La ville est coupée en deux. C'est cette passion du public, le fait que tout le monde s'intéresse au match, qui le distingue d'autres derbies."
Et les 700.000 Sévillans prennent tous parti, confirme Monchi à l'AFP. "Le match est seulement le point final d'un derby vécu toute l'année. Cela dépasse l'aspect purement sportif", fait-il valoir.
Cette passion, les joueurs la ressentent au quotidien. "Quand tu perds un derby, tu ne sors pas de chez toi de la semaine", sourit Julien Escudé, désormais patron d'un restaurant à Madrid dont le nom est un clin d??il à ses années sévillanes: "SQD", comme l'acronyme dont il floquait son maillot en Andalousie.
Le derby madrilène Real-Atletico, ou son équivalent barcelonais Barça-Espanyol, sont beaucoup moins exclusifs. D'abord parce que la rivalité planétaire entre le Real et le Barça éclipse tout, ensuite parce que leurs voisins moins fortunés peinent à rivaliser au long terme.
- Une tension irrespirable -
"Le sentiment de rivalité qui existe à Séville est différent", confirme le milieu de terrain du Betis Dani Ceballos. "Cette semaine-là, la vie s'arrête à Séville, les gens laissent de côté le reste."
© AFP/JAVIER SORIANO
L'ex-défenseur français du Séville FC Julien Escudé, le 13 février 2017 à Madrid
Les historiens rapportent que le Betis (nom inspiré de la province romaine de Bétique) a été fondé en 1907 à partir d'une scission du Séville FC, créé en 1905. Et ces deux faux frères se sont toujours marqués à la culotte, du moins jusqu'à une époque récente lorsque le palmarès de Séville a commencé à décoller: 5 titres en Europa League entre 2006 et 2016.
S'il est difficile de distinguer sociologiquement les supporters des deux clubs, ils assurent être très différents.
Les "Beticos", qui ont soutenu leur équipe jusque dans les méandres de la 3e division, assurent l'aimer "même quand elle perd" ("manque pierda", la devise du club). Les "Sevillistas", eux, se veulent "l'orgueil de la ville", comme le clame leur célèbre hymne a capella avant chaque rencontre.
Ce voisinage si passionné a parfois dégénéré, notamment entre ultras. Et dans les années 2000, la rivalité a accouché d'une tension irrespirable, entre polémiques interminables et débordements dans les tribunes.
"C'était une époque compliquée. Je crois que nous avons tous eu tort", admet Monchi. "Personne ne peut être fier de ce qui s'est passé."
- Puerta a tout changé -
L'animosité est néanmoins retombée. Pour cela, il a fallu un drame: le décès du défenseur du Séville FC Antonio Puerta, emporté par un arrêt cardio-respiratoire à l'âge de 22 ans lors d'un match contre Getafe en août 2007.
Les controverses futiles se sont alors estompées devant la compassion. "Il y a eu une fraternité autour de ce joueur-là, de la part de toute la ville, et beaucoup de choses ont changé", note Escudé.
La passion, néanmoins, est restée. Et quand la rivalité quitte les pelouses, elle perdure ailleurs, sur les consoles de jeu vidéo du premier derby e-sport disputé en janvier, ou bien sur l'eau du Guadalquivir pour la régate annuelle Séville-Betis: deux équipages de huit rameurs portant les maillots des deux clubs.
"On vit ça en famille, au bord du fleuve", raconte Antonio de Araujo, supporter du Betis et rédacteur en chef de la revue du club. "Et comme il y a les couleurs des deux équipes, chacun veut voir son équipe gagner." En attendant une énième revanche, samedi, sur le terrain. Et sur un air de flamenco.