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Grand blessé de la Coupe du Monde, le XV de France voudrait réapprendre à jouer en développant un système tourné vers la prise d'initiatives; un menu aussi alléchant sur le papier qu'ardu à mettre en place.
+ UN PROJET (TROP) AMBITIEUX ?
Le nouveau sélectionneur Guy Novès n'a jamais caché son intention de pratiquer à terme un rugby "spectaculaire", tout en prévenant qu'il lui faudrait du temps. "Guy a été élevé à cette école, celle où l'on ne récite pas un jeu programmé", confirme Pierre Villepreux , qui l'a dirigé et avec qui il a entraîné Toulouse.
La philosophie appliquée fait de "l'intelligence la pierre angulaire" du système, fondé sur la prise d'initiatives. "Est-ce que aujourd'hui cela fonctionne ? Je dirais non. Mais quelque fois cela marche, il suffit de voir le premier essai contre l'Ecosse" dimanche (défaite 29-18), poursuit Villepreux, entraîneur-adjoint des Bleus entre 1995 et 1999.
Après deux victoires et deux défaites dans le Tournoi, force est de constater que la mise en pratique est hoquetante. "On s'attendait à ce que tout ne soit pas parfait évidemment, mais au moins on pensait voir une évolution dans le jeu. Or, on voit plutôt une régression"", résume Pierre Berbizier , un autre ancien sélectionneur français (1991-95).
"Cette prise d'initiatives ne marchera que si elle est reconnue par tous et s'exerce dans un référentiel commun", explique encore Berbizier. "Par exemple, il faut que le porteur du ballon sache à quel moment libérer ou conserver, et que son soutien le sache aussi", poursuit-il. Pour l'instant, les joueurs ont paru parfois perdus, incertains sur les attitudes à adopter, communiquant fébrilement entre eux, signe que l'assimilation du système est loin d'être complète.
+ OBNUBILE PAR LA PASSE
L'évolution du jeu des Bleus a surtout été mesurée à l'explosion du nombre de passes, notamment après-contact. Un mauvais indicateur selon Berbizier.
"On s'est focalisé là-dessus mais on se trompe", grince-t-il. "Le jeu de mouvement n'est pas qu'un jeu de passes: le jeu au pied permet aussi d'imprimer du mouvement, de déplacer l'adversaire. On voit que les joueurs ne font que des passes après-contact mais en faisant cela on déjoue car il n'y a pas d'alternance."
"On peut faire autant de passes que l'on veut mais si elles ne sont pas conformes aux situations de jeu, cela ne sert à rien", poursuit-il. "On voit bien que les joueurs ne comprennent pas certaines situations de jeu, il faut aller plus vite dans la compréhension."
S'est-on bercé de fausses illusions en demandant d'entrée aux joueurs de pratiquer un rugby expansif ? "Non", répond Villepreux. "Si c'est le rugby que l'on veut mettre en place, il faut bien se consacrer à cela, car c'est là où le bât blesse". Et pour lui aussi, le manque d'alternance est d'abord lié à une mauvaise interprétation des situations par les joueurs.
+ DES RESPONSABILITES PARTAGEES
Avec un Top 14 qui privilégie des systèmes autrement plus programmés, pourquoi diable se plonger dans un rugby de "libertés", plus risqué et long à mettre en place ? "Parce que sinon ça voudrait dire qu'on ne va pas dans le sens de l'évolution du rugby mondial. On aurait des résultats de temps en temps mais rien sur la durée", répond Villepreux.
En attendant, c'est donc à l'encadrement et aux joueurs de prendre leurs responsabilités.
Du côté des entraîneurs, la politique de rotations entre chaque match (six changements avant l'Ecosse) interroge alors que le travail dans la continuité semble indispensable pour trouver des repères. "Ce turn over engage un questionnement chez les joueurs", relève Berbizier. "Quand ils entrent sur le terrain, ils se demandent s'ils vont être maintenus. On se pose encore des questions essentielles: quelle charnière, quel milieu de terrain, quel fond du terrain ? Il y a des interrogations fortes sur les postes à options de jeu."
De leur côté, les joueurs doivent trouver une manière de chasser leurs doutes, visibles en Ecosse. "Ce type de système va amener de l'inconfort mais il faut l'accepter", exhorte Villepreux. "Or, là on voit que les joueurs ne sont pas encore tout à fait prêts à se lâcher." Malgré une pression forte, ce sera pourtant incontournable contre l'Angleterre samedi.