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Carrière, argent, études et même troisième mi-temps: vingt ans après, le passage au professionnalisme a bouleversé le quotidien des rugbymen, avec l'arrivée de mots inconnus comme "chômage" ou "transfert".
"L'arrivée de l'argent a créé des contraintes de concurrence. On pense un peu à sa pomme, la cohésion collective est devenue plus une façade", regrette Pierre Villepreux , ancien entraîneur du Stade Toulousain et ex-sélectionneur du XV de France.
Plus qu'un sport, le rugby était alors, dans le sud-ouest de la France, une véritable culture collective. Mais le cliché de "gentlemen" pratiquant entre copains et en amateurs un sport de "voyous", avant de se retrouver pour une troisième mi-temps mémorable, est désormais fané.
Si l'esprit de groupe reste central dans un sport où il faut aller au combat avec ses coéquipiers, hors du terrain chaque joueur doivent désormais mener sa barque seul. Qui dit professionnalisme dit changements de clubs, négociations de contrats et parfois aussi chômage.
"On a essayé de mettre en place des précautions pour que le rugby ne prenne pas les mauvais côtés des sports professionnels mais on y arrive tout droit", regrette Emile Ntamack, ancien international du Stade Toulousain et actuel entraîneur des trois quarts de l'Union Bordeaux-Bègles. "Un mot comme +chômage+, qui n'existait pas dans le rugby, est là aujourd'hui", relève-t-il.
- Adieu les études -
Car la concurrence est exacerbée avec "la réduction du nombre de clubs dans l'élite (NDLR: 32 en 1995, 14 désormais) et l'arrivée des joueurs étrangers", note Fabien Pelous , nouveau directeur sportif du Stade Toulousain.
"Les jeunes ont beaucoup moins de perspectives qu'à mon époque. Quand j'ai commencé à Graulhet, j'étais peut-être le 100e deuxième ligne français mais j'avais l'opportunité de jouer en première division. Aujourd'hui, le 100e joueur français est en Fédérale 3" (NDLR: la 5e division), raconte l'ancien capitaine et 2e ligne des Bleus.
"Mais on reste quand même préservés par rapport à d'autres sports tant que l'on est à l'abri des indemnités de transferts, tant qu'il n'y a pas de marchandisation de la ressource humaine", nuance le détenteur du record de sélections (118) avec le XV de France.
Autre conséquence pour les joueurs du passage au professionnalisme: la quasi impossibilité désormais de faire des études.
"Avec la charge des entraînements, il est de plus en plus difficile d'assumer une formation. Lorsque j'ai commencé à devenir international en 1995, on s'entraînait deux fois par semaine. Je faisais la route entre Toulouse, où j'étudiais, et Dax. En 1997-98, on faisait un entraînement par jour, on y consacrait une demi-journée. A partir des années 2000, on est passé à deux, trois entraînements par jour, un temps plein", se rappelle Pelous, kinésithérapeute de formation.
- Troisième mi-temps light -
"C'était une époque assez radieuse, tous les ?ufs n'étaient pas dans le même panier, le rugby n'était pas une finalité en soi, les garçons travaillaient, voyaient un autre monde à côté. C'était riche d'échanges entre des gens qui étaient docteurs, mécanos, profs de gym. Là, c'est différent, c'est une bulle qui se ferme", juge Ntamack.
"Si on bascule, comme au football, sur des gars qui à 14 ans arrêtent pratiquement les études, le niveau de culture générale va s'en ressentir. C'est ça qui me fait peur, que la relation s'appauvrisse", craint Patrice Lagisquet , entraîneur des arrières du XV de France.
Preuve ultime que le professionnalisme a bousculé le rugby d'antan, même la sacro-sainte troisième mi-temps n'est plus ce qu'elle était...
"Avant, c'était la raison d'être du rugby, rassembler des hommes. Les deux premières mi-temps étaient presque un prétexte pour faire la troisième", sourit Pelous.
"Boire un coup, tu vas encore le faire et tu vas rentrer à 23h30, mais c'est sûr qu'on ne va plus dans les excès. Avant, c'était permis car on n'avait rien qui nous empêchait de le faire", souligne Ntamack.