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© AFP/Patrick Filleux
Le nageur quadri-amputé Philippe Croizon (c) et son ami Arnaud Chassery (d), au milieu d'enfants de l'île Petite Diomède le 12 août 2012
Philippe Croizon, le nageur quadri-amputé qui veut relier Asie et Amérique, est prisonnier depuis 48 heures sur une île perdue entre Alaska et Russie, entre deux "bouts du monde" et deux espaces temps, au milieu du Détroit de Béring: l'île Petite Diomède.
Pas de traversée immédiate pour Philippe Croizon: une furieuse et soudaine tempête a transformé en un gigantesque maelström le détroit séparant les îles Diomède (la "Petite" côté américain et la "Grande", côté Russe), entre lesquelles il doit effectuer sa traversée.
L'homme des quatre défis intercontinentaux du projet "Nager entre les frontières" a déjà relié depuis le mois de mai l'Océanie à l'Asie, puis l'Afrique à l'Asie et enfin l'Afrique à l'Europe.
Il doit faire face maintenant à l'un des climats les plus rudes et les plus imprévisibles, pour boucler son quadruple exploit, "acte de paix, de solidarité et de partage avec tous les hommes valides et invalides".
Pour l'aider à patienter, il a à ses côtés quelque 150 hommes, femmes et enfants, la totalité de la communauté exclusivement Inuit de cette petite île de 7,35 km2, rocher tabulaire de 280 m de haut entre océans Arctique et Pacifique.
La Petite Diomède fait face à sa soeur -fausse jumelle de 29 km2- la Grande Diomède, dont elle est séparée par un couloir de 3,5 km de mer en été et autant de banquise en hiver, ainsi que par la ligne de changement de date.
Quand il est midi le dimanche sur la "Petite", ses habitants regardent lundi sur la "Grande", première marche du continent asiatique et extrémité orientale de la Sibérie.
Le rideau de glace
Regarder la grande soeur est une occupation favorite des Inuits de Petite Diomède, depuis leurs maisons sur pilotis de pêcheurs et de chasseurs, avec électricité mais sans eau courante, posées en équilibre instable sur le flanc de la petite montagne, entre ciel et eau.
"On s'observe en permanence à la jumelle, longue-vue ou télescope. Aucun de leurs mouvements ne nous échappe. En face, ils font de même...", dit James, 36 ans.
"Ils", de l'autre côté, c'est la petite garnison de militaires russes, une soixantaine de soldats, seuls occupants de Grande Diomède, ancien poste avancé Soviétique du temps de la guerre froide.
On emprunte un entrelacs d'escaliers et de passerelles qui escaladent le village et desservent la quarantaine de petites maisons en bois pour arriver à celle d'Uncle Pat, 76 ans, le doyen et la mémoire de la communauté: "Avant, en hiver, quand la banquise était là, on pouvait traverser à pied et visiter nos amis et parents à Imaluq, le village de l'autre côté", attaque-t-il.
Cet "avant" a pris fin en 1948 quand les Inuits de la Grande Diomède ont été déportés et dispersés par Staline au coeur de la Sibérie. Ces familles n'ont jamais été autorisées à rejoindre leur communauté, en dépit de l'effondrement de l'empire Soviétique à partir de 1989.
Imaluq n'existe plus et il est toujours hors de question de traverser sans visa russe.
Uncle Pat ne pardonne pas: "Ce que vous appeliez le rideau de fer, on l'appelle ici le rideau de glace. Il n'a toujours pas fondu !"
Millions d'oiseaux
Ainsi qu'un nuage de sauterelles, des nuées d'oiseaux tournent en permanence dans le ciel tourmenté de Diomède. Ils sont des millions d'une quarantaine d'espèces à nicher sur ce morceau de terre d'Alaska.
Mais les chasseurs Inuits -le nombre de fusils de gros calibres que l'on voit accrochés dans les maisons est impressionnant- les laissent tranquilles. Ici, on tire du gros pour la viande, la graisse et les peaux: ours polaires, morses, phoques, baleines... tout est autorisé.
A proximité du village, accroché à flanc de montagne, le cimetière-sanctuaire. Ici, aucune tombe: les corps sont ensevelis sous des cairns, tant il est impossible de creuser dans le roc. Lieu de mémoire, cet endroit est interdit à tout étranger à la communauté: le repos des morts serait troublé par une présence sacrilège venue d'ailleurs.
"Je suis né ici et c'est ici que je reposerai", dit Uncle Pat d'un ton définitif.