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© AFP/Noel Celis
Le Japonais Koji Oishi frappe son adversaire philippin Honorio Benario pendant un combat de mixed martial arts (MMA), le 31 mai 2013 à Manille
Tout ou presque est permis, même les frappes au sol. Interdits en France, les combats de Mixed Martial Arts (MMA) fascinent ou révoltent. Un cocktail explosif d'arts martiaux et de sports de combat, d'autant plus attractif qu'il est prohibé.
Au Lagardère Paris Racing, à un jet de pierre des Invalides, Bertrand Amoussou se démène pour gérer le succès de la section MMA lancée il y a trois ans dans le très select club de la capitale.
"J'ai commencé avec 30 inscrits, il y en avait 200 la saison dernière", se félicite l'ancien champion de judo et de jujitsu, chantre de la légalisation totale du MMA. "Je n'ai jamais moins de 80 personnes à un de mes cours quand ils sont 20 au judo. Et tous mes collègues de clubs font un carton".
Au Racing comme ailleurs, le pratiquant de MMA déjoue les clichés.
Médecins, avocats, chefs d'entreprises quinquagénaires, hommes comme femmes, sont attirés par la complexité et la dimension stratégique d'une discipline qui allie les techniques de tous les sports martiaux et de combat, les projections du judo, la percussion des différentes boxes, la soumission de la lutte et du jujitsu.
Un créneau horaire est même réservé à une trentaine d'étudiants de Sciences-Po.
De l'autre côté du prisme, on trouve dans les dojos de jeunes gens fascinés par les combats du Québécois Georges Saint-Pierre, la star mondiale du MMA, ou de Cyrille "The Snake" Diabaté, l'un des deux Français en lice dans l'UFC (Ultimate Fight Championship), avec Francis Carmont.
Pratique "dégradante"
Aux Etats-Unis, la ligue professionnelle N.1 du MMA, dont les combats se font dans une cage, fait pâlir de crainte ses concurrentes du football américain, de la boxe ou du baseball avec son audience, ses affluences, ses bénéfices et son marketing agressif.
© AFP/Noel Celis
Le Japonais Masakatsu Ueda (g) immobilise son adversaire philippin Kevin Belingon dans un combat de mixed martial arts (MMA), le 31 mai 2013 à Manille
En France, il s'invite via le petit écran. Son seul moyen d'exister puisque, en vertu d'une recommandation du conseil de l'Europe sur les "pratiques sportives dégradantes", la loi interdit les frappes au sol, ingrédient indispensable des combats entre professionnels.
En 2006, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a tenté de juguler la médiatisation croissante du MMA et de l'UFC, sa "Ligue des Champions", en les bannissant des chaînes françaises.
Depuis, la chaîne luxembourgeoise RTL9 a repris le relais. En 2013, elle a enregistré une moyenne de 150.000 téléspectateurs sur les combats d'UFC. Une partie respectable des 455.000 fans de la page Facebook France de la ligue américaine.
L'audience est belle pour ce sport freiné dans son développement par la prohibition, et dont les fans doivent se satisfaire, en guise de spectacle live, de combats de pancrace ou de grappling. Des formes de combats libres qui se déroulent sur un ring et non dans une cage --ou Octogone, selon la terminologie brevetée par l'UFC.
Une cage, conçue pour la sécurité des sportifs, qui cristallise le rejet des détracteurs du MMA.
Promoteur de combats de pancrace sur Paris et sa banlieue, Stéphane Chaufourier bataille lors de chaque soirée avec les autorités. "On est toujours sous haute surveillance, notamment de la Préfecture", raconte-t-il. Ses combats, notamment le "100% fight", respectent pourtant scrupuleusement la loi en prohibant les frappes au sol, tout comme les cours dispensés dans des clubs, tolérés depuis 2008.
Cette semi-clandestinité irrite les partisans du MMA. "Ce qui est interdit intrigue et intéresse", juge Cyrille Diabaté qui, entre deux combats UFC à l'étranger, officie dans sa salle d'Epinay sur Seine pour quelque 250 pratiquants.
Quant aux frappes au sol, elles seraient, selon les habitués, plus spectaculaires que dangereuses. "Quand on frappe au sol, l'amplitude du mouvement est très limitée, explique Diabaté. Celui qui est au sol est souvent plus dangereux".
"En fait, on est comme du Red Bull. Interdits et d'autant plus consommés", reprend 'The Snake'. "A un moment, la demande publique va être telle que l'on va devoir nous autoriser. En attendant, c'est dangereux. Parce que faute d'une véritable fédération, ce sont souvent des charlatans qui s'improvisent profs de MMA".
"Faire un cours à la ministre"
Inquantifiables mais estimés à une dizaine de milliers de personnes en France, les pratiquants recourent souvent à des clubs de judo, d?aïkido ou de boxe thaï, qui organisent en catimini des leçons de MMA.
Président de la commission MMA, créée en 2008 lors de l'autorisation de la pratique amateur, Bertrand Amoussou se bat pour obtenir l'agrément ministériel qui installerait la discipline dans le paysage sportif français et permettrait d'encadrer la formation de moniteurs.
"Mon rêve, ce serait de faire un cours à la ministre", plaisante-t-il. "Je voudrais aussi faire du MMA éducatif. Et ce ne sera pas possible sans agrément", reprend-il plus sérieusement.
Valérie Fourneyron, la ministre des sports, n'est sans doute pas prête à entrer dans la cage. Elle campe sur les positions de ses prédécesseurs et envisage même de durcir la loi au nom du respect de "l'intégrité physique, de l'adversaire, de la dignité humaine, de la santé et des valeurs éducatives du sport".
Mais de nombreux sportifs de premier plan défendent la discipline et notamment ses entraînements très complets et bénéfiques. L'escrimeuse Laura Flessel, la judoka Lucie Decosse combattent régulièrement au Racing et même Teddy Riner en est adepte, malgré ses prises de position publiques contre la discipline.
Le judo tricolore est en effet très hostile à la légalisation du MMA, le président de la fédération en tête, militant contre "une pratique barbare". La fédération redoute en réalité "une hémorragie de ses licenciés vers cette nouvelle discipline", estime pourtant Yan Dalla Pria, maître de conférence en sociologie à Nanterre et spécialisé dans le phénomène.
"Le problème du MMA", reprend-il, "ce ne sont pas ses pratiquants qui viennent en grande partie des autres arts martiaux. Ce sont ses origines culturelles, son background: le marketing de la violence. Le background du judo, c'est Jigoro Kano, un vieux sage. Le MMA est prisonnier de ses origines".
Reste que progressivement, la discipline s'est peu à peu respectabilisée. En parallèle à l'UFC, menacé d'interdiction dans plusieurs Etats américains pour ses dérapages violents et des scandales de dopage, le MMA s'est doté de règles, désormais plus d'une trentaine.
Au point que ses défenseurs récusent aujourd'hui le terme de "free fight", longtemps synonyme, qui sous-entend l'absence totale de régulation.
"Aujourd'hui que le MMA a fait ses preuves en tant que sport codifié, il peut tenir la route", juge Yan Dalla Pria, en toute indépendance. "Il y a fort à parier qu'il sera légalisé bientôt. La position de la France est intenable".
Tout aussi paradoxale, en tout cas, que celle de la Suède. Elle autorise le MMA mais a banni la boxe.