Happy Birthday : |
© AFP/FABRICE COFFRINI
Dick Pound, membre du CIO et fondateur de l'AMA, répond à des journalistes lors de la 129e session du CIO à Rio, le 2 août 2016
"Le mouvement olympique va devoir réagir avec fermeté, sous peine de voir sa crédibilité encore plus entamée", a prévenu Dick Pound, avant la publication le 9 décembre de la version finale du rapport McLaren sur le dopage en Russie.
Dans un entretien téléphonique accordé à l'AFP, l'avocat canadien, ancien président de l'Agence mondiale antidopage (AMA) de 1999 à 2007, n'a pas ménagé le CIO, dont il fut vice-président et dont il est l'un des 98 membres, sur sa gestion du dossier russe avant les JO-2016 de Rio.
"Le CIO ne peut pas avoir comme mantra +tolérance zéro contre le dopage+ et dire en fait +tolérance zéro pour le dopage, sauf si c'est la Russie+, c'était l'occasion d'envoyer un message fort", a-t-il estimé.
QUESTION: Le rapport McLaren, dont la première version a été publiée le 18 juillet dernier et qui a dénoncé "un système de dopage d'Etat" en Russie touchant trente sports entre 2011 et 2015, marque-t-il un tournant dans la lutte contre le dopage?
REPONSE: "Il est très important, car il a montré que des agents d'un Etat, en l'occurrence la Russie, ont porté atteinte au système (de lutte contre le dopage, ndlr). Cela appelle des sanctions, cela ne peut pas être ignoré. On ne peut avoir peur de punir les pays les plus importants. Dans le cas de la Russie, le rapport McLaren a mis en évidence l'implication des agents du FSB, l'ancien KGB (les services secrets russes, qui ont notamment permis l'échange d'échantillons prélevés sur des sportifs dopés par des échantillons propres lors des JO-2014 de Sotchi, ndlr). La Russie doit accepter sa responsabilité pour ces actions".
Q: Que faut-il s'attendre à trouver dans la version finale de ce rapport?
R: "Je ne sais pas ce qu'il y aura dans le rapport, il n'est d'ailleurs pas encore terminé, mais je m'attends à ce qu'il soit très, très accablant pour la Russie. Procéder à des échanges d'échantillons en pleins JO est une attaque grave contre les jeux Olympiques, le mouvement olympique va devoir réagir avec fermeté, sous peine de voir sa crédibilité encore plus entamée (...) Je pense que si nous sommes suffisamment ferme avec la Russie, cela peut avoir un énorme effet dissuasif. Nous savons, vous et moi, que si c'était le Guatemala qui était concerné, la réponse aurait été différente et plus rapide, la CIO semble avoir un problème avec le fait que la Russie soit concernée".
Q: En tant qu'ancien président de l'AMA, comment avez-vous perçu les critiques dont elle est l'objet, qu'elles viennent du CIO ou, plus récemment, du président de l'Association des comités nationaux olympiques, qui a reproché notamment le moment choisi pour révéler des informations "déstabilisantes pour l'ensemble du mouvement sportif"?
R: "Les critiques ont débuté juste avant Rio. A mes yeux, c'était dans le but de détourner l'attention de la mauvaise gestion par le CIO de la situation russe et de tout mettre sur le dos de l'AMA (...) Quand (le juriste canadien) Richard McLaren a publié son rapport en juillet avec ses conclusions incroyables, le CIO a dit que c'était trop près des JO de Rio et que c'était de la faute de l'AMA. Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire? Sachant ce que McLaren savait, il aurait dû se taire et attendre après les Jeux pour publier son rapport, et permettre ainsi à tous les sportifs russes de participer aux JO et de perturber encore plus le bon déroulement des compétitions? Le CIO a alors pris la décision, plutôt que d'exclure la Russie, comme l'ont fait la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) et le comité international paralympique, de laisser cette responsabilité aux fédérations internationales. Cela a donné une situation catastrophique, le CIO a été très, très critiqué et, à mes yeux, c'était complétement justifié".
Q: Qu'aurait-il fallu faire selon vous?
R: "La direction du CIO avait tout identifié, je n'ai aucune objection sur le principe qu'elle a énoncé (le 24 juillet, ndlr) sur la responsabilité collective et la justice individuelle, mais la responsabilité collective était celle de l'Etat russe. La Russie aurait dû être disqualifiée et les sportifs, qui pouvaient démontrer qu'ils n'avaient pas bénéficié du système en place, devaient être autorisés à participer, pas sous le drapeau russe, mais sous le drapeau olympique. Il y a un fossé énorme entre ce que le CIO a fait et ce qu'il aurait dû faire".
Q: A vous entendre, le CIO n'a pas pris ses responsabilités...
R: "Le CIO ne peut pas avoir comme mantra +tolérance zéro contre le dopage+ et dire en fait +tolérance zéro pour le dopage, sauf si c'est la Russie+, parce que la Russie est un pays puissant. C'était l'occasion d'envoyer un message fort en disant +peu importe qui vous êtes, quelle que soit l'importance de votre pays, si vous trichez, il y aura des conséquences+. Le CIO n'est rien s'il n'a pas des principes éthiques, il est considéré comme le leader éthique du mouvement sportif, il avait l'occasion de le démontrer".
Propos recueillis par Jérôme RASETTI