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© AFP/Khalil Mazraawi
Philippe Croizon, le nageur quadruple amputé, le 21 juin 2012 dans la Mer Rouge
Il arrive au bout de son rêve, au bout du monde et au bout du temps: Philippe Croizon, le nageur quadruple amputé se prépare, dans une petite communauté Inuit, à Wales (extrémité occidentale de l'Alaska), à relever son 4e et dernier défi intercontinental en reliant, dans le Détroit de Béring, les Îles de Petite et Grande Diomède entre les continents Américain et asiatique en Russie sibérienne, à travers la ligne de changement de date.
Croizon, 44 ans, privé de ses bras et jambes depuis un terrible accident en 1994, a entrepris depuis le mois de mai en compagnie de son ami et nageur de fond Arnaud Chassery, 34 ans, de "Nager au-delà des frontières" en reliant symboliquement les cinq continents (Océanie, Asie, Afrique, Europe, Amérique), à travers passes et détroits.
Les deux hommes entendent ainsi poser "un acte égalitaire de paix, de solidarité et de partage avec tous les hommes valides et invalides".
En 3 mois, ils sont successivement passés d'Océanie en Asie entre Papouasie-Nouvelle-Guinée et Indonésie, puis d'Afrique en Asie à travers la mer Rouge entre Egypte et Jordanie dans le golfe d'Aqaba, et enfin d'Afrique en Europe entre Maroc et Espagne sur le détroit de Gibraltar.
Reste le plus gros morceau -non en distance (3,5 km)- entre les deux îles du Détroit de Béring, dans une eau n'excédant pas 3 ou 4°C, avec de puissants courants, souvent contraires, entre l'Arctique au Nord et le Pacifique au Sud.
Deux improbables nageurs
Deux silhouettes sombres et solitaires fendent les flots à quelques encablures d'une plage grise battue par la pluie et les vents que borde une immense lande arasée et herbeuse, sans le moindre arbre ou buisson, dominée par de sombres collines rocailleuses.
A l'horizon, dans la brume, on devine les masses des deux Diomède comme un mur infranchissable, ainsi qu'il le fut pendant 40 années de guerre froide entre les blocs Soviétique et Américain. De ce côté de la côte américaine, nous sommes samedi. Là-bas, de l'autre côté du Détroit de Béring, c'est déjà dimanche.
Depuis la plage, entre les vagues, les deux nageurs qui effectuent l'un de leurs derniers entraînements, pourraient être confondus avec des phoques. Une erreur espèrent-ils qui ne sera pas commise par les orques friands de leurs petits congénères.
Ils vont au même rythme soutenu. On reconnaît Philippe de loin qui mouline les mouvements du crawl avec ses seuls avant-bras.
Quand il sort des flots, tiré au sec par Arnaud Chassery et le médecin de l'expédition, Arnaud de Courreges, Philippe Croizon jubile en dépit de ses traits accusant l'effort, le froid et la fatigue:
© AFP/Khalil Mazraawi
Philippe Croizon, le nageur quadruple amputé, le 11 juin 2012 à Amman
"Je suis prêt, lâche-t-il le souffle court. On a été vraiment dans les conditions de la traversée avec le froid et des contre-courants. Il va falloir que l'on passe très vite pour éviter des tourbillons entre les îles. Mais le Béring, je vais le manger...!"
Sa compagne Susana Catarino, 44 ans, est à ses petits soins. C'est elle, à chaque nage, qui équipe Philippe avec sa combinaison de plongée et fixe à chaque cuisse ses prothèses de palmes.
"Je suis sur tous les fronts: aide de camp, infirmière, porteuse, habilleuse, masseuse, psychologue et supporter", dit cette secrétaire-comptable qui a rencontré Philippe il y a 7 ans et est devenue sa compagne de vie.
C'est ensemble qu'ils ont élaboré le premier grand défi du nageur quadruple amputé: la traversée de la Manche réussie en 2010 qui a ouvert la porte de la célébrité à Philippe Croizon et surtout à l'espérance qu'il prodigue dans le monde entier à une multitude de compagnons d'infortune.
Le Prince
Quand il parcourt sur son fauteuil roulant l'unique piste de terre battue qui traverse Wales (140 habitants), avec ses maisons au confort spartiate sans eau courante (seule l'école qui accueille une trentaine d'enfants en bénéficie), Philippe Croizon voit venir à lui les petits Inuits qui se demandent qui est ce drôle de bonhomme sur sa drôle de machine.
Philippe se prête de bon coeur aux jeux des enfants qui s'agrippent au fauteuil, le poussent, forment un petit train dans des éclats de rire cristallins.
"Ces enfants me regardent comme un prince étrange venu du bout du monde. Ils sont ma première récompense pour être venu jusqu'ici", dit-il avec émotion.