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© AFP/Patrick Filleux
Philippe Croizon, le nageur français quadri-amputé, pose avec son ami, le nageur Arnaud Chassery, le 11 août 2012 sur une plage de Wales en Alaska
Des vents de plus de 130 km/h, une mer démontée: Philippe Croizon, le nageur quadri-amputé qui veut relier Asie et Amérique entre Alaska et Russie, est désormais prisonnier d'un ouragan sur l'île Petite Diomède, au milieu du détroit de Béring.
A cette extrémité Nord-Ouest du continent américain, la météo était à la tempête depuis 48 heures. Mais le 15 août c'est un ouragan (force 12, plus de 115 km/h) qui s'est abattu sur les Diomède (la "Petite" côté américain et la "Grande", côté Russe), que Croizon entend relier à la nage.
Mercredi matin, l'anémomètre de la petite île a même enregistré des rafales à plus de 70 noeuds (140 km/h): "On peut arriver à tout à force de volonté, dit Croizon sous sa chapka, en regardant les flots en furie, mais on ne peut rien si la nature refuse. C'est une grande leçon d'humilité".
Les maisons en bois des 150 habitants Inuits tremblent sur leurs pilotis. Au-dessus du village, les pentes de l'île, parsemées d'énormes blocs de rochers comme autant d'épées de Damoclès, sont noyées dans le brouillard.
"Il ne faudrait pas que ça s'éboule...", lâche Philippe à Arnaud Chassery, son compagnon de nage longue distance, avec lequel il a parcouru le monde depuis le mois de mai.
Ils ont relié successivement l'Océanie à l'Asie, puis l'Afrique à l'Asie et enfin l'Afrique à l'Europe, dans le cadre de leur projet "Nager au-delà des frontières".
L'éboulement a pourtant eu lieu, mais la nuit précédente, à quelques centaines de mètres de l'endroit où conversent les deux hommes. Selon les habitants, cela se produit très rarement et témoigne de la violence du vent.
Un glissement de terrain est parti du sommet de l'île à 280 mètres, entraînant une avalanche de grosses roches qui sont venues mourir dans la mer à quelques dizaines de mètres seulement de l'école en réfection.
La trace boueuse de l'effondrement tranche comme une longue blessure sur le flanc de la petite île.
Protégé par les esprits
Aghmoya Soolook, chasseur et pêcheur Inuit de 46 ans, reste serein: "Le village est protégé par l'esprit de nos ancêtres qui sont ensevelis au-dessus de nos têtes (dans le petit cimetière-sanctuaire de cairns qui surplombe le village). Les blocs de roches ont toujours évité nos maisons", assure-t-il.
"On a survécu à la guerre froide où nous étions en première ligne. On survit au monde moderne. On entretient notre culture et nos traditions", dit cet autodidacte érudit qui -à l'inverse de ses compagnons- passe plus de temps dans ses livres que devant le petit écran à visionner des DVD.
© AFP/Philippe Huguen
Philippe Croizon, le nageur français quadri-amputé, le 20 septembre 2010 à Wissant
Tout en haut d'Inaliq (le nom du village en langue Inuit), sa maison au confort spartiate tient à la fois de la cabane de trappeur, pêcheur et chasseur.
Fusils, harpons et trophées sont accrochés aux murs. La viande d'un morse qu'il a tué au printemps sèche à l'extérieur, dans le vent. "Je vais bientôt la cuire et la manger" dit-il. Il y a aussi le crâne et l'impressionnante dentition d'un ours polaire abattu l'hiver dernier sur la banquise entre la Petite et la Grande Diomède, sur ce couloir gelé de 3,5 km qui sépare deux pays et deux continents.
Aghmoya a accueilli Philippe dans son antre. En son honneur, il a empoigné son traditionnel sauyuk (tambour tendu d'une peau d'estomac de morse) et entonné une lancinante mélopée inuite, où il est question d'hommes-ours et de croyances animistes du peuple Inuit.
Très ému, Philippe a oublié un temps l'ouragan qui le prive pour le moment de son 4e et dernier défi intercontinental, au milieu du détroit de Béring.