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Quasiment inconnu à la fin des années 90, le cricket connaît un engouement croissant au Rwanda. Il se développe sous l?impulsion d?une poignée de Tutsis ayant grandi dans d'ex-colonies britanniques et revenus d'exil après le génocide.
Sur un terrain bosselé, des jeunes se relaient pour lancer la balle au batteur. Certains, au pays des Mille collines, regardent encore avec perplexité ce sport venu de l'étranger.
Le cricket ne cesse pourtant de gagner en popularité, à tel point que ses fans tentent aujourd'hui de lever des fonds pour construire un terrain digne de ce nom, aux normes internationales. Ce serait au Rwanda, ex-colonie allemande puis belge, le premier terrain dédié au sport si populaire dans l'ancien Empire britannique.
Car pour ses fans, développer le cricket a bien plus qu'une valeur sportive, c'est aussi une façon de participer à la réconciliation du pays, trente ans après le génocide, au cours duquel quelque 800.000 personnes, principalement des Tutsi, ont été massacrées.
"En raison de notre histoire, on essaie, ici, au Rwanda, de faire des choses qui rassemblent les gens", explique Don De Dieu Mugisha, jeune capitaine de l'équipe des moins de 19 ans.
"L'histoire du cricket au Rwanda (...) est liée à ce que nous avons dû traverser en tant que personnes forcées à l'exil", explique Charles Haba, l'un des fondateurs de la fédération nationale de cricket, dont la famille a fui le Rwanda en 1959 pour l'Ouganda lors des premiers pogroms anti-Tutsi.
Cet homme de 37 ans a appris ce sport à l'école en Ouganda et au Kenya, où il est très populaire. Il est revenu vivre au Rwanda en 1998, quatre ans après le génocide de 1994.
Dans le sud du pays, à Butare, il a alors mis en place avec sept autres étudiants eux aussi revenus d'exil la première équipe universitaire de cricket du Rwanda, où ce sport était alors totalement inconnu.
"Bien sûr, ça a été dur, il n'y avait pas d'équipements, d'installations (...) Mais chaque bonne histoire peut prendre forme si on est passionné", raconte-t-il. "Nous avons eu de la patience, du ressort, de la détermination, et nous avons surmonté tous les défis et les obstacles".
En 1999, le groupe d'étudiants créé la fédération nationale, reconnue quatre ans plus tard par l'International Cricket Council et qui compte aujourd'hui, plus de 5.000 membres.
- Lever des fonds -
Depuis 2002, les amateurs de cricket s'entraînent sur le terrain de l'ETO Kicukiro, l'un des lieux symboles du génocide.
Dans les jours qui ont suivi le début des massacres en avril 1994, quelque 2.000 personnes, tutsi ou hutu membres de l'opposition, s'étaient réfugiées dans cette école où étaient aussi cantonnés une centaine de Casques bleus belges.
Presque tous les réfugiés ont été massacrés après le retrait du contingent belge, décidé à la suite de l'assassinat de dix soldats belges qui tentaient de protéger l'ancien Premier ministre Agathe Uwilingiyimana.
"Certains de nos joueurs ont perdu des proches ici", raconte M. Haba. "Nous avons donné de l'espoir à un endroit qui a été un lieu de tueries, ça a ramené ce lieu à la vie". Mais c'est ce terrain, trop petit, qu'il faut désormais remplacer.
Parmi les parrains du projet de nouveau stade, sur un terrain de 4,4 hectares dans les faubourgs de Kigali, figure une légende du cricket, le Trinidadien Brian Lara, qui a animé des entraînements de joueurs rwandais.
"Le sport peut contribuer aux progrès incroyables que le pays a fait ces 20 dernières années", a-t-il estimé dans un communiqué. Le Premier ministre britannique David Cameron lui-même a salué l'initiative, estimant que le "sport est un formidable moyen de rassembler un pays".
Une fondation britannique, la Rwanda Cricket Stadium Fundation, pilote le projet et a déjà levé les deux-tiers des fonds nécessaires à la construction du stade.
Pour compléter le financement, une trentaine de joueurs amateurs et professionnels et d'arbitres officiels, de cinq pays, doivent fin septembre grimper le Kilimanjaro, pour disputer, à 5.785 m d'altitude, le plus haut match de l'histoire du cricket sur le cratère du mythique sommet tanzanien, le plus haut d'Afrique.
Emmanuel Bugingo, du ministère rwandais des Sports, balaie l'idée que le développement du cricket démontre, un peu plus, le rapprochement du pays des Grands Lacs et du Royaume-Uni, au détriment de la France. A plusieurs reprises, le président rwandais Paul Kagame a accusé Paris, allié du régime hutu en 1994, d'implication dans le génocide.
"Le sport est apolitique", assure M. Bugingo. "Il n'a aucun rapport avec les relations diplomatiques ou politiques".
Un avis partagé par M. Haba, pour qui "le sport parle un langage qu'aucun homme politique ne peut parler". "Quand vous êtes dans une équipe, peu importe qui vous êtes, ou d'où vous venez".