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"C'est une lutte contre soi et contre l'envie de respirer": loin du "Grand Bleu" et de l'ivresse des profondeurs, l'apnée se pratique aussi en piscine. Les meilleurs spécialistes au monde de cette discipline méconnue s'affrontent cette semaine à Mulhouse, repoussant toujours plus loin les limites du souffle.
"A partir de 50 mètres, je commence à avoir envie de respirer. Après, c'est que du dépassement, du mental", raconte Arthur Guerin-Boëri, 30 ans.
Lors de ces premiers championnats du monde d'apnée organisés en France, le Parisien a établi un nouveau record du monde, en nageant - sans palmes - sur une longueur de près de 183 mètres, sans reprendre son souffle. Le tout en près de quatre minutes, soit bien plus que tous les autres athlètes. "Je suis dans la lenteur, l'économie d'énergie et de mouvement. Chacun sa technique", sourit-il.
Chez les dames, l'Italienne Alessia Zecchini a également battu un record du monde, avec 165 mètres.
Avant le départ, les compétiteurs se concentrent et se relaxent. Puis ils utilisent la "technique de la carpe" pour comprimer avec la glotte l'air inhalé et ainsi "mettre les poumons en surpression", explique Arnaud Ponche, l'un des entraîneurs de l'équipe de France.
Lestés d'un collier de plomb, les nageurs peuvent enfin s'élancer, par une brasse fluide et glissante, à une profondeur de 50 cm à un mètre.
- Evanouissement -
Leur but: parcourir la plus longue distance possible, avant d'être contraints de remonter chercher l'air à la surface. Cette épreuve se pratique également avec une monopalme: la nage évoque alors celle des dauphins.
"Il y a une très, très grosse préparation physique, mais le mental peut tout faire capoter", insiste le coach.
Si l'athlète repousse trop loin ses limites, la situation devient dangereuse: il perd le contrôle de ses mouvements, dernier avertissement du corps avant l'évanouissement.
Pour éviter une telle extrémité, les règles de la compétition sont dissuasives: la performance de l'athlète n'est pas validée si, à la fin de l'épreuve, il n'est pas en état de frapper de la main un panneau qu'on lui tend depuis le bord du bassin... ou à plus forte raison s'il s'évanouit dans la piscine, ce qui est arrivé cette semaine à une nageuse italienne, rapidement secourue!
"Il faut un caractère bien forgé pour accepter de surmonter l'envie de respirer, sans pour autant se mettre en danger", résume le préparateur mental de l'équipe de France, Robert Brunet. Une force de caractère qui vient avec les années: il n'est pas rare que les meilleurs mondiaux aient passé les 30, voire les 40 ans.
Certains compétiteurs préfèrent mettre en avant le plaisir de cette nage en immersion, plutôt que la souffrance du manque d'air: "Sous l'eau, tout est calme, on se sent bien, c'est notre élément!" assure Vanessa Perret, 26 ans, qui préfère l'apnée de vitesse - elle a fini 5e du 100 mètres.
- Dormir sous l'eau -
"C'est du plaisir d'être sous l'eau", confirme le Serbe Branko Petrovic, qui a débuté l'apnée à l'adolescence en pratiquant la chasse sous-marine dans l'Adriatique. A 29 ans, ce prodige de l'apnée statique est capable de tenir plus de 10 minutes sans respirer et sans bouger, la tête dans la piscine.
"Pour moi, la souffrance commence après 6 minutes 30, ou plus tard si je suis en forme, mais ensuite elle disparaît jusqu'à la fin", assure le Serbe, qui dit parfois s'endormir pendant ses performances... et même "faire des rêves".
Pour le formateur français Glenn Vitry, "nous avons tous cette appréhension naturelle" à l'idée de manquer d'air. Pourtant, assure-t-il, "c'est avant tout une barrière dans notre tête: il faut accepter de fusionner avec l'eau, de devenir un peu poisson, d'évoluer dans un milieu qui n'est pas le nôtre. Il va alors beaucoup nous apporter en retour".
Et à ceux qui s'étonneraient que l'on puisse rechercher en piscine la magie du "Grand Bleu", le pêcheur serbe Petrovic répond d'une pirouette: "la magie, c'est dans ta tête".