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Machine à gagner, rêver et broyer : le documentaire "Red Army", en salles mercredi, dépeint l'extraordinaire épopée des hockeyeurs de l'équipe d'Union soviétique, admirés pour leur génie et leurs exploits, mais usés jusqu'à la trame par un système violent et paranoïaque.
Le film de l'Américain Gabe Polsky, présenté en séance spéciale (hors compétition) au dernier Festival de Cannes, décrypte grâce à de nombreuses images d'archives, la montée en puissance d'une équipe révolutionnaire dans les années 1970 et les coulisses de sa suprématie mondiale dans les années 1980.
Mais surtout, grâce aux nombreux témoignages d'anciens joueurs, "Red Army" dresse un portrait accablant des perversités d'un régime, prêt à tout pour maintenir sa domination sur le hockey, instrument de propagande pendant la Guerre froide.
Le film ne s'adresse donc pas particulièrement aux passionnés du sport. Nul besoin d'être un amateur, le réalisateur raconte surtout l'histoire d'une jeunesse sacrifiée.
L'histoire de cette "Red Army", mythique émanation de l'armée soviétique, se concentre sur son capitaine Viacheslav Fetisov et ses coéquipiers du "Russian Five" : Alexei Kasatonov , Sergei Makarov , Igor Larionov et Vladimir Krutov .
Dans les années 1970, le jeu virevoltant et créatif prôné par Anatoli Tarasov a été une révolution, une claque même pour les Américains et les Canadiens, au style de jeu plus violent et plus primaire. Dirigée par un entraîneur inspiré par le Bolchoï et les échecs, la "Red Army" gagne tout.
Gabe Polsky, né aux Etats-Unis de parents russes, est autant fasciné par ce style de jeu que par l'envers du décor. Son regard se fait alors plus humain, tendre, même si la narration est parfois trop démonstrative, à grands renforts de violons.
- Mauvais traitements -
Car le cauchemar commence vraiment en 1977.
L'équipe est alors placée sous la coupe de Viktor Tikhonov , l'homme du KGB, obsédé par l'idée que ses hommes puissent passer à l'Ouest.
Les joueurs s'exilent en caserne onze mois sur douze. Ils y endurent des entraînements épuisants, jusqu'à "pisser du sang" selon Fetisov. Ils subissent aussi une surveillance constante et de fortes pressions psychologiques. Ils n'ont même pas l'autorisation d'assister aux funérailles de proches. Une "jeunesse gâchée", juge Makarov.
Sur la glace, cela fonctionne pourtant. Après l'échec en finale des Jeux olympiques 1980, les Soviétiques reprennent l'or à Sarajevo en 1984. Mais certains jettent l'éponge, le légendaire gardien Vladislav Tretiak préférant raccrocher à seulement 32 ans.
Qu'à cela ne tienne, l'URSS enchaîne titres et médailles jusqu'à la chute du régime.
Mais la libéralisation lancée par Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 1980 permet enfin aux joueurs de protester. Fetisov et Larionov se plaignent publiquement, puis manifestent leur envie de jouer à l'Ouest.
Certains déserteront pour fuir une vie de "chien errant" et évoluer dans le grand championnat nord-américain (NHL), mais Moscou refuse de laisser partir son icône.
Malgré les amitiés brisées, les menaces et les passages à tabac, Fetisov parviendra à jouer aux Etats-Unis. Il remportera même deux titres avec Détroit en 1997 et 1998, avant de devenir ministre des Sports de Vladimir Poutine de 2002 à 2008.
Mais s'ils ont tout gagné, les hockeyeurs soviétiques en ont payé le prix. Comme en témoignent les silences de Fetisov ou les yeux rougis de Krutov et Kasatonov.