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"On peut jouer mais pas diriger: peut-être que le Noir est juste fait pour exécuter", ironise le sélectionneur de la RD Congo, Florent Ibenge. Préjugés, frilosité des dirigeants, problèmes de formation: très peu d'entraîneurs noirs sont assis sur le banc d'un club professionnel en Europe.
"Il y a plein de joueurs noirs mais aucun entraîneur. Il faut poser la question aux dirigeants: des gens sont là, formés, à qui on ne veut pas faire confiance. Je crois qu'on n'est pas encore prêt mentalement à les prendre", déplore Ibenge dans un entretien à l'AFP.
"Les clubs européens ne croient pas en nous", renchérit pour l'AFP Samson Siasia, qui vient d'être nommé sélectionneur du Nigeria. "Beaucoup d'entre nous ont joué au plus haut niveau en Europe, mais ces mêmes clubs ne nous donnent pas la possibilité de montrer ce qu'on peut faire en dehors du terrain. Et même quand ils nous donnent notre chance, ils ont vite fait de nous licencier", soupire-t-il.
Sur 92 clubs professionnels en Angleterre, on compte quatre entraîneurs noirs seulement. Il y en a un seul en France (le Kanak Antoine Kombouaré à Lens en Ligue 2). Sans parler de l'Espagne, de l'Italie ou de l'Allemagne.
"Où est un John Barnes (ex-attaquant anglais d'origine jamaïcaine, NDLR), avec tout ce qu'il a accompli à Liverpool ? On ne lui a pas donné sa chance comme coach", peste Siasia. "Et il y a beaucoup de joueurs français d'origine africaine, mais le seul entraîneur dont je me souvienne, c'est Makelele à Bastia" (en 2014).
Discrimination, voire préjugés racistes? "Il y a là quelque chose de profondément injuste, mais je ne veux pas mettre de nom dessus", souffle le Nigérian.
- Cercle vicieux -
Pour un entraîneur noir, décrocher un poste "est un long chemin et c'est très difficile", relevait en octobre l'Anglais Chris Ramsey lors d'une conférence au Leaders Sport Summit de Londres, grand messe du sport business. "Il faut s'obstiner et ne pas baisser la tête, même si les raisons pour lesquelles on n'est pas pris sont parfois évidentes".
Alors aux rênes des Queens Park Rangers, Ramsey était l'un des rares entraîneurs noirs du foot pro anglais. Il a été remplacé en novembre par un autre Noir, le Néerlandais Jimmy Floyd Hasselbaink, et est aujourd'hui directeur technique du club.
Le Syndicat des joueurs anglais (PFA) plaide en faveur d'une mesure de discrimination positive pour les entraîneurs: l'instauration en Angleterre d'une règle calquée sur la "Rooney Rule" en vigueur en NFL, le championnat de football américain (celui qui se joue avec casques et ballon ovale et non pas le football, appelé "soccer" aux Etats-Unis).
La "Rooney Rule", introduite en NFL en 2003, oblige les clubs à recevoir des candidats issus des minorités ethniques lors des entretiens d'embauche pour le poste d'entraîneur.
D'autant que la quasi-absence d'entraîneurs noirs semble nourrir un cercle vicieux et décourager les aspirants.
"Un joueur de couleur se dira: +Est-ce que ça vaut le coup de passer les diplômes puisque personne ne me recrutera?+", analyse pour l'AFP le chercheur Pascal Boniface. En 2009, il avait coécrit avec Pape Diouf le livre "De but en blanc", dans lequel l'ex-président (noir) de l'OM retraçait son parcours en se qualifiant "d'anomalie sympathique".
Selon les registres de l'Unecatef (le syndicat des entraîneurs français), sur les 155 techniciens à la recherche d'un club, les entraîneurs noirs se comptent sur les doigts d'une main. Et il n'y en a aucun parmi les 26 titulaires du BEPF, le plus haut diplôme.
- 'Sorciers blancs' en Afrique -
Le sociologue Patrick Mignon juge ces inégalités caractéristiques du foot professionnel, pas du foot en général: "Chez les amateurs, il y a une forte présence des entraîneurs issus de l'immigration, qui correspond à la démographie des clubs et des villes dans lesquelles ils évoluent".
"Lorsque le club devient pro, les critères de choix sont autres: les réseaux, la cooptation par des dirigeants issus de la France rurale et provinciale, ajoute-t-il. Et quand on joue dans l'élite, on se focalise sur les dix meilleurs entraîneurs du moment, qui sont tous blancs."
Tous blancs (ou presque): c'est aussi le cas en... Afrique, où nombre d'équipes nationales font appel à des sélectionneurs étrangers, comme le Français Hervé Renard (au Maroc aujourd'hui après avoir gagné la CAN avec la Côte d'Ivoire et la Zambie) ou le Belge Hugo Broos, à la tête du Cameroun depuis mi-février.
"Il y a en Afrique l'image du sorcier blanc, qui a en outre l'avantage de résister aux pressions ethniques ou politiques", souligne Boniface.
C'est l'un des chevaux de bataille d'Ibenge. "Nous, Africains, demandons à nos dirigeants de ne plus mettre en avant des critères discriminatoires comme la race ou la nationalité", martèle-t-il, quelques semaines après avoir permis à la RD Congo de remporter le Championnat d'Afrique des nations (CHAN).
Chris Ramsey ne dit pas autre chose: "Nous ne voulons pas de symboles. Nous voulons des gens qui sont là sur leur mérite".